samedi 11 octobre 2008

Le Saumon pour survivre, la bière pour vivre

Je m’avance vers le comptoir de poisson où des barquettes de filet de saumon sont étalées, aguichantes avec leur prix au rabais. Je m’immobilise un moment, et aussitôt que je tends la main pour en saisir une, un monsieur dans la soixantaine surgit de nulle part et se met à côté de moi, il en saisit une lui aussi, me regarde et fait comme il se met en équipe avec moi en s’adressant au poissonnier sur un ton ferme :

Mais c’est ben trop gros ço pour moi. Lance-t-il. Je veux la moitié de t’ço, moi.

Le poissonnier lui sort la phrase magique :

C’est ça le format, il n’y a pas plus petit que deux livres (un kilogramme à peu près)

Ouain, mais j’ai vu dans l’circulaire, que c’est deux livres.

Oui, c’est ça, deux livres ou plus.

Non, mais c’est trop, je veux la moitié, coupe ço en deux.

Je peux pas monsieur.

Sentant que le vieillard commence à perdre patience, je renonce à ma barquette de deux livres et propose au poissonnier de partager le paquet entre nous deux, comme ça, il n’a qu’à diviser le prix en deux, sans contrevenir aux règlements du supermarché. Le poissonnier s’exécute, et le monsieur, mon coéquipier, comme quelqu’un qui vient de marquer un point, me regarde du dessous de sa casquette de baseball et dit :

Ouain ! lo, c’est bon pour moi, l’aut’ paquet est ben trop gros lo.

J’acquiesce avec un sourire et saisis ma part de saumon en lui souhaitant une bonne soirée. Pendant une seconde, en lui tournant le dos, je me demande ce que je pourrais bien faire avec un petit morceau de saumon parce que, contrairement au vieux monsieur, je ne vis pas seul. Mais l’idée d’avoir arrangé la situation me donne déjà satisfaction. Je passe à la caisse et avant de partir, je regarde derrière moi. Le vieux monsieur du saumon est là, il immobilise son caddy où logent trois caisses de bières de 24 chacune, et au-dessus, le petit paquet de saumon, gentiment posé comme pour les accompagner. Quelques instants après, je retrouve le même vieux monsieur du saumon et des bières. Ce dernier monte dans un taxi pour une course qui doit lui coûter 15 ou 20$ au minimum. Je reste figé un moment, surpris et perplexe, mais mon état ne dure pas longtemps quand je me suis rappelé qu’on est au début du mois et que le vieux monsieur du saumon, des bières, le client du taxi à la barbe grise, vient probablement d’encaisser son chèque mensuel de l’aide sociale.



1 commentaire:

  1. C'est le genre de situation qui nous fait sentir "trop con" ((il ne faut pas le prendre personnel))d'avoir aidé les autres. Maaliche, ça reste un drôle de souvenir quand -même. Je sens de la pitié pour ton coéquipier!!!

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