mardi 21 avril 2009

Con-plexe de supériorité

A propos de la conférence de Durban sur le racisme, le journal Libération rapporte que

« le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner est également venu à la rescousse ce mardi, estimant que la conférence n’était «pas du tout un échec mais le début d’un succès». Alors que Durban I avait vu un «déferlement de racisme», Durban II s’apprête à adopter «un texte où figure tout ce que nous souhaitions, tout ce que les pays occidentaux souhaitaient» même si «ce n’est pas parfait» »

Voici comment l'Occident s'embourbe de plus en plus dans la bulle de son complexe de supériorité, une bulle qui lui éclatera à la figure un jour pour découvrir qu'il est minoritaire sur cette terre et qu'il doit composer avec d'autres doctrines... 

Johnny Mad Dog



La 25e édition du Festival Vues d'Afrique a lieu en ce moment du 16 au 26 avril 2009 à Montréal et à Québec. Ici, à Québec, je déplore le manque de publicité et surtout l'absence ô combien traditionnelle des cinéphiles africains au musée de la civilisation où sont projetés plus d'une dizaine de films avec la présence de certains des réalisateurs, suivis de débats. Hier, j'ai eu l'occasion de voir Johnny Mad Dog précédé du court-métrage C'est dimanche de Samir Guesmi qui est une excellente fiction tragi-comique. Le film de Jean-Stéphane Sauvaire, produit par Mathieu Kassovitch, présente une belle fiction, percutante, troublante, sur la vie des enfants-soldats au Libéria. Le traitement qui évite de tomber dans la complaisance ni dans la condamnation dépeint des portraits d'enfants enragés, camés et armés jusqu'aux dents avec un seul but: tuer, violer et piller. Je ne peux pas ne pas penser au roman d'Ahmadou Kourouma Allah n'est pas obligé, même si le traitement y est différent. À la différence du livre, il n'y a pas de place pour l'ironie dans ce film, mais pour une réalité crue et pour un certain regard porté sur les enfants-soldats qui sont, après tout, des enfants. Et c'est là que le travail du cinéaste prend son envol. Malgré cette rage, il existe une certaine sensibilité qui parfois prend un peu de place avant de laisser la mort parler. La photo est sublime, les habits carnavalesques mais bien réels, le jeu des acteurs est juste parce qu'il n'est pas feint (les acteurs sont d'anciens enfants-soldats). Je suis sorti de la salle enchanté par cette oeuvre et désenchanté par la réalité morbide.

vendredi 17 avril 2009

Bombardements sur la Tunisie

www.monstersandcritics.com

Voici un texte que j'ai écrit il y a plus de quinze ans et que j'aimerais partager dans cet espace.


La nuit s’abattit très rapidement ne laissant pas au crépuscule le temps de dévoiler ses ailes de couleurs. Les petites rues de la station thermale dans laquelle nous avions pris l’habitude de louer une maison se vidèrent brusquement. J’étais seul dans la maison ; ma famille s’apprêtait à venir le lendemain. Je m’étendis sur le dos pour me coucher. J’étais mort de fatigue après une journée d’exploration dans les montagnes. Soudain, un bruit assourdissant secoua la nuit et me fit sursauter de mon lit. J’étais effrayé et mon pouls battait comme des coups de cymbale. Je repris enfin mon souffle en me disant que ce ne devait être qu’un de ces cauchemars qui me visitaient une ou deux fois par an. Je fermai ainsi les yeux et mon corps reprit sa position de fœtus, mais dès que le sommeil commençait à engourdir mes membres, un deuxième coup retentit dans la nuit. Ce fut un coup plus fort et plus assourdissant que le premier d’autant plus que j’étais à moitié réveillé. Il ressemblait à un bruit de tonnerre. Non ! je dirais plutôt à une bombe. Une bombe ? non ! non! C’est absurde ! ça doit être la carrière de pierres qui est de l’autre côté de la colline…
Cette idée me plaisait beaucoup et je réussis à me calmer, mais tout de suite après, je me rappelai que cette carrière était abandonnée depuis longtemps. A nouveau la peur m’écrasa la poitrine…un troisième coup. Le ciel semblait s’émietter en morceaux. J’avais envie de sortir voir ce qui se passait, mais la peur me paralysait et je ne pouvais que respirer par saccades. C’est la guerre ! me dis-je. J’entendis des bruits de machines ; ça doit être des chars d’assaut. Je me figeais encore plus dans mon lit… un quatrième coup retentit et fit vibrer les murs de la pièce et de mon cœur. Un silence. L’atmosphère devenait lourde. J’étouffais, mais j’étais curieux de voir la suite. Un instant après, j’entendis le bruit d’un hélicoptère qui passait juste au-dessus de ma tête. C’est la fin. Ça doit être les Israéliens qui nous bombardent comme ils l’ont fait en 1985. Mais est-ce possible ? Il n’y a pas de Palestiniens dans ce coin ! Un cinquième coup retentit. Mes oreilles auraient voulu se retrancher. C’était un bruit lourd à digérer tant par ses décibels que par son mystère.
Je revoyais toutes les images de guerre qu’on nous montrait à la télé et je priai Dieu le tout puissant. Je ne voulais pas mourir à l’âge de quatorze ans ; j’avais encore beaucoup de choses à découvrir dans ce monde. Paralysé par la terreur, je regardais le toit qui risquait de s’effondrer à tout moment et d’écraser ma petite cervelle d’adolescent… un deuxième hélicoptère passa. Je fermai les yeux et avalai ma salive. Ce sont peut-être les Français qui veulent récupérer leur ancienne terre colonisée depuis 1881. Non ! C’est absurde ! Depuis l’indépendance, on s’entend très bien avec la France. Que se passe-t-il alors ? Dois-je mourir sans savoir pourquoi ni comment ? Est-ce que la vérité va nous jouer un autre tour et échapper encore une fois de nos mains?
Cette fois-ci, j’entendis une rafale de balles de mitraillette. C’est la mort, c’est la fin ! Je pensais un moment que les Américains cherchaient Saddam Hussein. Non ! mais qu’est ce qu’il vient faire en Tunisie, ou bien ça doit être l’armée tunisienne qui combat les terroristes ? non ! c’est impossible ! Il n’y a pas de terroristes en Tunisie? Ils se sont peut-être introduits par la frontière algérienne…
Je tendis les oreilles. Plus rien. Le grand silence. Je ne pouvais plus dormir de peur de mourir. Je voulais m’enfuir, mais où ? Attente…angoisse… je regardais ma montre. Il était 4 h du matin. Je me levai sur la pointe des pieds. Je regardais par la fenêtre. Le fil blanc perçait déjà la noirceur du ciel et l’aube baillait et s’étirait les membres. Tout était calme dehors. Il n’y avait pas de traces de bombardement. Avais-je rêvé ? Tout ce vacarme n’était qu’illusion, que fiction? Je me précipitai de sortir pour m’assurer de ce songe. Je parcourais des yeux le lieu. Il n’y avait rien. Je me dirigeai vers la colline qui cachait l’immense paysage de forêt. Une fois là-haut, je me mettais à scruter les lieux et ma surprise fut stupéfiante de voir devant moi une série de chars parfaitement alignés. Ils visaient les collines d’en face. J’avais encore des doutes, mais tout se dissipa quand un soldat surgit tout d'un coup. Je ne l’avais pas vu venir. Je sursautai. Il souriait. Bonjour ! il n’y a pas d’épicier dans le coin ? je meurs de faim. Je restais perplexe ne sachant quoi répondre, puis je balbutiai quelques mots. Il ne me comprit pas. Je repris mes esprits et tendis le bras en direction de la carrière, mais, tout de suite après, je me repris et je lui indiquai la bonne direction cette fois-ci. Il me remercia et se dirigea tout droit vers le village de chaux. Je rebroussai chemin en pensant à tous les événements de la veille, puis j’éclatai de rire et je me rappelai qu’il y avait une caserne pas très loin du village et que c’était la période des essais militaires.


vendredi 10 avril 2009

Les peuples dominés et la notion d’habitus



Je ne prétends pas apporter une nouvelle théorie du maître et son esclave ni de la logique du pouvoir, mais à voir les scores des élections des régimes dictatoriaux qui frôlent l’unanimité parfaite, je me dis que plus jamais les peuples qui vivent sous ce genre de gouverne sont pris jusqu’à la moelle par un sentiment d’habitus dont ils ont tout le mal du monde à se défaire. Et là, le blâme est moins tourné vers le pouvoir, ou l’homme du pouvoir que vers le troupeau qui consent à laisser le loup le guider vers l’abîme. Pourquoi un tel comportement suicidaire? Et bien c’est l’habitus. Cette notion étayée dans les sciences sociales par Pierre Bourdieu se présente comme une disposition de l’esprit à garder le même état, la même situation héritée et de la perpétuer jusqu’à un infini abyssal. La seule action de cet habitus consiste à courber l’échine et à laisser faire arguant de la maxime qui dit : contente-toi de ton mal pour éviter d’en avoir un pire. Tiens, cela me rappelle la réaction (ou l’inaction) des femmes battues.

jeudi 2 avril 2009

Conversation type avec un citoyen typique

Voici une conversation typique avec ce qu'on appelle un citoyen moyen. Sans vouloir généraliser, ce genre d'échange devient un automatisme, et je prépare la réponse avant même la question. Après huit ans de vie ici, j'ai déjà eu ce genre de conversation une centaine de fois.

- Tu n'es pas d'ici toi!
- Réponse attendue: non. Réponse donnée: oui et non.
- Tu es originaire d'où?
- Réponse attendue: Maghreb, Afrique du nord. Réponse donnée: Tunisie.
- Ah. Et tu es ici depuis combien de temps?
- Réponse attendue: depuis quelques mois. Réponse donnée: Depuis près de dix ans?
- Ah ouaih! et... tu aimes bien ici?
- Réponse attendue: c'est trop génial, c'est ici que je vis le mieux, avant, je mourais de faim chez moi. Réponse donnée: oui... ça va, on s'habitue avec le temps, et puis, Québec, après tant d'années, est dvenue ma ville. Et toi, tu aimes bien ici?.
- (Surpris de la question, comme si interroger l'autre était un droit irréversible). Euh... oui, oui, mais l'hiver je pars en Floride. Dis-moi (pour reprendre les commandes), est-ce que tu comptes rester ici?
- Réponse attendue: non, je rentre chez moi. Réponse donnée: je ne sais pas. Et toi, tu comptes rester ici?
- (Encore surpris, voire déstabilisé par la question). Euh... hahaha, je n'y ai pas pensé... (rires gênés). Hey (il monte le ton pour prendre le dessus), chez vous là, tu sais comment on dit divorcer? (rires).
- Réponse attendue: non, dis-moi comment. Réponse donnée: é machalait, é machal pu.
- (Rires gênés). Oui, oui, avec l'accent, hihihi... Dis-moi, t'as-tu lu ton coran?
- Réponse attendue: oui, et c'est de la merde. Réponse donnée: et toi, t'as lu ta bible?
- (Déstabilisé) Euh... oui, et j'ai lu le coran et... je trouve que c'est correct les deux... Non je te dis ça comme ça. Parce que je vois que tu ne bois pas.
- Je n'en ai pas envie. 
- Oui, oui, c'est correct... Hey, tu sais, j'ai rien contre les immigrants, mais ostie, y en a qui me font chier.
- Ok, et est-ce que j'en fais partie.
- Non, non t'es ben correct. J'ai rien contre les musulmans. Mais, ceux qui parlent pas français, essti qui m'énarvent... Pis, ils menacent not' identité francophone.
- Non, je trouve que la langue est un faux problème, parce que la majorité des immigrants parlent très bien français et le peu d'entre eux qui ne le parlent, sont en train d'apprendre dans les cours de francisation qu'offre le gouvernement.
- Avec notre argent.
- Bah, c'est le prix à payer pour protéger sa culture. Je pense que le vrai problème est que les jeunes d'ici se moquent des études et préfèrent avoir un petit boulot. Cela crée des pénuries dans les emplois spécialisés, on va chercher des immigrants qualifiés... Sais-tu que les deuxième et troisième cycles dans les universités sont à 60 % remplis d'immigrants alors que dans la société ceux-ci ne représentent que 10 % à peine? Imagine si, dans 20 ans, les choses continuent à ce rythme, l'élite sociale sera faite essentiellement d'immigrants. Donc, le danger ne vient pas de ces derniers, mais de l'intérieur, du décrochage scolaire, et du désintérêt pour les carrières et les ambitions.
(Le citoyen moyen est bleu.... et décide de ne plus me poser de questions).

PS: Quand je parle de citoyen moyen, je ne spécifie pas une classe sociale, basée sur des données économiques, mais je parle de moyen intellectuellement ce qui se trouve aussi bien chez le plombier que chez le professeur d'université, et le contraire aussi est vrai, sans vouloir généraliser.