samedi 3 novembre 2018

Le jour où j'ai verbalisé un flic

En près de 20 ans de vie au Canada, j'ai pu éprouver à peu près toutes les facettes de l'état de droit et la dernière et non des moindres vient de me tomber dessus un peu comme un trophée qui arrive inopinément. 
Je pédalais tranquillement le soir quand une auto-patrouille me dépassa et ralentit ensuite. Redoutant une manoeuvre soudaine d'un flic en mal de sensation, je ralentis à mon tour. Il faut dire que j'ai une aversion culturelle bien ancrée envers le corps policier et ce malgré la rectitude de la police d'ici. L'auto-patrouille finit par me couper brusquement le chemin et se rangea à droite. J'eus le temps de freiner malgré la chaussée mouillée. Si un citoyen lambda m'avait fait ça, je lui aurais craché toutes les insultes apprises par coeur à la figure, mais comme je faisais face à des hommes armés par l'État pour maintenir l'ordre et qui de facto avaient le droit de tuer s'ils estimaient que leur sécurité était en jeu, je m'arrêtai à un mètre de la portière du conducteur en pensant naïvement que c'était pour moi. Le policier me dévisagea d'un regard belliqueux en tonnant : «Qu'ess qu'y a? Qu'ess qu'y a?». Je saisis que ce n'était pas pour moi. Je faisais donc face à une alternative : Lui dire que je pensais que c'était pour moi et partir ou le verbaliser - au sens propre - comme il le fait avec les contrevenants. Je choisis la deuxième option et, sur un ton calme et courtois, je lui expliquai qu'il m'avait coupé sans signaler et sans faire son angle mort et que n'eût été ma vigilance, il m'aurait écrasé. 
Réalisant la faute qu'il venait de commettre, le fauve armé redevint un simple agent de la paix faillible et face à mon indéniable état de droit, nous étions à armes égales. Il descendit et vint m'expliquer qu'il allait verbaliser un autre cycliste qui roulait sans lumières sur l'autre trottoir. La brèche était trop parfaite, alors j'assénai le coup de grâce : « Je comprends monsieur l'agent votre empressement à aller sauver un cycliste contrevenant, mais vous avez mis ma vie en danger alors que je roulais sur le côté droit de la chaussée, dans la bonne direction et que j'ai mon casque et mes lumières ». L'agent armé fut désormais réduit à un citoyen assujetti aux mêmes lois que moi. Il me demanda pardon et m'offrit une lumière que je refusai gentiment car j'en avais, mais face à son insistance, je dus la prendre. Le duel s'arrêta là et l'état de droit triompha.

jeudi 22 février 2018

Enseignement et empathie

J'ai été abasourdi par un documentaire diffusé sur la chaîne française France 3 et intitulé : « Docs interdits - Profs en territoire perdu ». En fait l'idée consiste à faire témoigner des profs de lycées dans des cités à forte densité maghrébine. 

Tous les professeurs, sans exception, ont passé au crible les problèmes qu'ils observent chez leurs élèves : Le racisme inversé, la misogynie, l'antisémitisme, l'homophobie, le rejet de l'identité française, de la culture de l'hexagone, de la laïcité française, le sentiment d'appartenance à l'Islam, etc. Ils ont tous présenté leurs élèves comme des monstres remplis de haine, d'intolérance et de préjugés.

Je ne doute point de la bonne foi de ces enseignants ni de la véracité des faits relevés. Par contre, je déplore un manque criard d'empathie. D'aucuns ne se sont demandé pourquoi ces jeunes issus de l'immigration nord-africaine agissent ou pensent de cette façon. Ils se sont contentés d'observer et se sont ensuite empêtrés dans des analyses plaquées sans recul aucun et surtout sans essayer de comprendre ce qui motive ou bloque ou angoisse ces jeunes. 

Un enseignant dispense un savoir certes, mais il se doit d'avoir un minimum d'empathie pour l'apprenant afin de pouvoir saisir les enjeux ou encore les tensions qui tenaillent ce dernier. 
Il m'arrive souvent de confronter mes étudiants à leurs propres pensées préconçues, opinions, haine, rejet de l'Autre, etc. J'avoue que c'est délicat et que souvent le professeur est déstabilisé devant tant de haine. Afin de désamorcer cela, il faut à tout prix éviter de tomber dans une posture moralisatrice ou tenter de rectifier leur façon de penser. Je me souviens d'une étudiante, très brillante et motivée, qui m'a clairement dit qu'elle était « extrêmement allergique » aux homosexuels. Quand je lui ai demandé la raison de cette haine, elle a hésité et m'a dit qu'elle ne savait pas pourquoi au juste. C'est pour moi un début d'ouverture. Au lieu de s'offusquer et de crier au loup homophobe et tout, on prend l'apprenant par la main et on lui renvoie ce qu'il dit comme le ferait un miroir ou une pièce vide. L'apprenant, au lieu de se braquer et de se mettre sur la défensive, entame une phase de réflexion. Je ne dis pas que cela l'amène à changer totalement de posture idéologique, mais j'estime que cela pourrait être un début de changement.      
            
En somme, ce qu'il faut essayer de comprendre, pour revenir aux jeunes qui ont fait l'objet de cette « enquête », ce sont les raisons et non les symptômes. Si ces jeunes sont remplis de haine, c'est parce qu'ils se sentent réellement rejetés par leur société qui a traité leurs parents comme des bêtes de somme. Si ces élèves tentent de s'accrocher à une identité religieuse nébuleuse, c'est parce que la plupart de leurs parents étaient et sont des prolétaires qui ne possèdent que le Coran comme seul livre à la maison. Donc, ces jeunes sont doublement victimes. Ils sont victimes d'un système étatique assimilationniste d'un côté et d'un milieu familial conservateur qui manque cruellement d'instruction et qui se replie sur une identité presque chimérique de l'autre. 

Voilà, à mon humble avis, le nœud du problème! Camarades enseignants! Ayez de l'empathie, arrêtez de juger, essayez de comprendre afin d'aider vos élèves en situation fragile! On juge et on condamne un adulte pour avoir commis un crime quelle que soit sa nature, mais on essaie d'amener un élève à réfléchir sur ses propres poncifs afin de s'en distancier.