lundi 6 juin 2011

La Barbade ou le pays bajan

©3loullou



Les îles des caraïbes défilent sous le tube en métal à l’intérieur duquel on est agglutiné, petites, grandes, longues, montagneuses, escarpées, vertes, auréolées de bandes blanches, volcans qui fument, nuages qui se bousculent.

La dernière île à l’est de la mer caraïbe est singulièrement plate. Aucun volcan ne la soutient et les nuages ne font que passer. La verdure est moins présente et laisse place à des tâches jaunes. Point de forêt dense, point de dédales floraux et une faune discrète.

Accueil assez original. Que des douanières en uniforme bleu vif et au sourire mesuré. La politesse est de mise et l’accent est quelque peu british lequel s’estompe à mesure qu’on s’enfonce dans le pays pour se faire doubler par le bajan, dialecte où les mots sont hachurés et les phrases saccadés et scandées. Le dialecte bajan est agréable à écouter même si l’on ne comprend pas tout. Le hall d’entrée de l’aéroport de Bridgetown est semblable à un gigantesque paravent tant la façade ne possède pas de mur. La chaleur humide est écrasante, mais cela ne fait que titiller l’être sudiste qui tapit en moi.

Franchir l’aéroport d’un pays qui m’est encore inconnu est un des moments les plus intenses de ma vie. Je me sens sitôt submergé dans une autre dimension. Tous mes sens prospectent. Le large trottoir grouille de monde et surtout de chauffeurs de taxi en chemise et pantalon. Bizarrement, je ne suis point assailli par eux. Attiré par une chemise bleue et un badge, je me dirige alors vers un monsieur assis. Je comprends qu’il est chargé d’affecter les arrivants dans les taxis, voilà pourquoi les chauffeurs ne se battent pas pour nous avoir, contrairement à ce qui se passe dans les villes arabes. Il me tend un papier sur lequel il a marqué le montant de la course. Ce genre de détails me plait et me laisse moins sur mes gardes. Je prends place dans un grand taxi tout neuf et climatisé. Sur la route, je fais remarquer bêtement au chauffeur ma surprise de voir autant de femmes conduire alors que leurs hommes sont à côté. Le chauffeur éclate de rire et relève mon inhabitude de voir conduire à droite. Nous rions un bon coup. Les routes exiguës contrastent avec les grosses voitures aux vitres teintées et desquelles sort systématiquement du dancehall.

L’air salé finit par réveiller complètement l’être sudiste et marin en moi et j’emplis mes poumons de cet élément. Plages longues et étroites, un peu vides vu la saison, mais le beau temps est là en tout temps et même la pluie quotidienne qui ne dure que quelques minutes ne réussit guère à perturber une mer majestueuse.

Couleurs criardes de robes caribéennes accrochées dans des stands pour touristes à la sortie de la plage. Jeunes femmes caribéennes en mini-shorts moulants et quelques dames fonctionnaires en robes jaunes ou bleu vif attendent le bus.

À mesure que le soleil se couche, le rhum fait sa sortie sur les murets des plages, entouré de grosses bouteilles de soda et de musique dancehall des voitures garées autour.

Les mini-shorts cèdent le pas aux robes très courtes épousant des silhouettes ondulées.

Un rasta fari se lave les cheveux éternellement longs dans la mer sous le regard pieux des enfants qui jouent dans l’eau à côté. Mancenillier, arbre venimeux, étend ses tentacules sur la plage et exhorte les passants de ne pas s’y installer en cas de pluie.

Sur les étales du marché central quelques bananes plantains, avocats et goyaves importés des îles voisines attendent preneur. On me dit que les légumes et fruits sont un luxe ici que ne peut se payer que les riches propriétaires américains, canadiens et anglais des villas front de mer.

Le reste, c’est-à-dire 95% de la population, mange du poulet frit et ils sont bien servis par les grandes chaines de fastfood américain. Les enseignes des banques canadiennes, britanniques et américaines, elles, sont prêtes à service monsieur 5%.

Un crane rasé, grosse boucle d’oreille de pirate, marcel blanc et tatouages saute de la basse clôture d’une maison et court vers moi :

Hey! Yeh mon! How u doin’

Fine thanks and you?

You need somethin’ Weed, crack, coke, whot eva?

Oh! No thank you, I don’t smoke and I dont take drugs.

Oh! Rilly? Okey! You’re lookin’ fo’ geul’s? Tell me, an’ I bring you o’ you need. Two, three geu’ls?

Oh! No, no, I’m ok.

Rilly? So, wha’a you doin’ de’?

I’m just walking around, and discover the place by night.

Le marcel me fixe en fronçant les sourcils. Visiblement, il ne peut pas concevoir qu’un étranger puisse se balader seul le soir sans but précis. Il insiste encore, mais devant mon refus poli, il me tourne le dos exaspéré.

Après quelques jours de travail à l’université West Indies, je glisse dans la peau d’un touriste discret. La vie des étudiants sur le campus de Cave Hill se passe en plein air. Les salles de révision ne sont que des bancs entourés de gazon et le cours le plus suivi est celui d’athlétisme. Des sprinters courent accrochés à des mini-parachutes qui les ralentissent et rendent leur effort plus intense. Les étudiants les plus studieux s’entassent dans la bibliothèque et s’affairent à assimiler les gros livres de médecine. Les autres ricanent, mangent, jouent, se draguent et révisent un peu de temps à autre. Je ne peux pas les blâmer, étudiant, je faisais comme eux.

Je m’aventure seul au centre-ville malgré les avertissements des collègues qui habitent l’île depuis des années. Ils m’ont enjoint de prendre le taxi pour l’hôtel et quand je leur ai dit que j’allais prendre le bus, ils ont écarquillé les yeux. Je fais signe au premier bus de s’arrêter, ne sachant pas dans quelle direction il va. Je monte et demande au chauffeur s’il va au centre-ville. Il acquiesce de la tête. Je prends place et très vite les yeux se détournent de moi sauf ceux d’une vieille dame au visage de bronze parfaitement ridé et au regard perçant. Elle me dit de prendre une autre connexion pour pouvoir me rendre dans la zone des hôtels sans passer par le centre-ville, puis s’adresse au chauffeur en bajan. Après quelques minutes, elle se lève et me demande de la suivre. Nous descendons du bus et elle se penche sur moi pour me dire de faire attention et de ne pas m’aventurer seul à la nuit tombée. Je ris un peu en lui disant de ne pas s’inquiéter pour moi, mais comme une mère veilleuse, elle me dit que le centre-ville est sécuritaire seulement le jour et qu’elle sait de quoi elle parle. Elle salue quelques personnes au passage et reprend le fil de la discussion avec moi jusqu’à ce qu’un bus apparaisse. Elle s’adresse au chauffeur et me fait signe de monter. Je la remercie à la fois contrarié de passer pour un touriste fragile à qui on dicte l’itinéraire à suivre et touché par cette sympathique rencontre. Le minibus est bondé, on me fait une demi-place et je dois m’appuyer sur la portière pour bien tenir. La musique dancehall est à fond et le chauffeur aux dreadlocks bien alignés intercale plusieurs billets dans ses phalanges. Ainsi, des billets de 1, 5, 10 et 20$ sont répartis sur les quatre phalanges. Je quitte à contrecœur le centre-ville, décidé à y retourner le jour.

Les rares mets bajan que l’on trouve se font désirer. Poisson volant frit, marlin grillé, bananes plantains caramélisées et fondantes, gros riz américain, légumes servant de décor, bière locale légère, etc.

Grande distillerie de rhum qui a pignon sur mer. C’est probablement l’usine qui a la meilleure vue du monde. L’odeur de rhum est persistante, envahissante, étourdissante. Presser le pas est la seule issue pour éviter un coma éthylique. Quelques accoutumés, à moitié pompettes rien que par l’odeur gratuite que diffusent les cheminées, se prélassent entre la clôture de l’usine et la plage. Le chauffeur de taxi m’avait déjà expliqué que la canne à sucre est tout ce qui pousse sur l’île et comme industrie, c’est sa transformation en rhum qui prévaut. J’appris plus tard que c’était là, la plus vieille distillerie de rhum au monde.

Une pluie torrentielle s’abat et dure cette fois plus d’une demi-heure. Et bien que le ciel se soit ouvert comme une mer qui se déverse d’en haut, je continue ma marche trempé jusqu’aux os. À peine cette manne diluvienne terminée, le beau temps reprend le dessus et les plages se repeuplent. Un chant de gospel me parvient de loin. Je suis la source et je vois une église en plein air où des gens chantent et appalaudissent avec ferveur sous un chapiteau peint en vert. Les hommes portent des chemises en satin aux couleurs vives et les femmes de grandes robes colorées.

Le chant a vite disparu dès que j’ai immergé la tête dans l’eau. Une grosse tortue de mer grignote sagement tout ce qui colle aux coraux. Ma présence ne semble pas la déranger. Je m’approche encore plus sans trop faire de remous. Elle s’arrête un instant, tourne la tête pour me voir, me fixe un moment, puis replonge la tête dans les coraux. Je lui ai alors touché doucement la carapace sans qu’elle ne s’effarouche. Après quelques minutes passées à la dévisager, la tortue finit par me lancer un regard de lassitude. Je comprends le message et je m’éloigne de sitôt.

L’après midi, des coureurs, vieux, jeunes, femmes, hommes, sveltes, obèses, sillonnent la plage. Aux côtés du criquet et de la course de chevaux, la course est un sport national dans ce pays où il est interdit de fumer dans tous les lieux publics et même sur les terrasses.

Autant la côte Ouest est peuplée et sa mer caribéenne calme, autant la côte Est est déserte et son océan atlantique agité. Une seule grande maison en bois se tient sous la seule montagne d’à peine quelques dizaines de mètres de haut. La maison est tournée vers l’océan où les vagues successives s’échouent violemment sur la côte rocheuse. Le pays change de visage. On s’arrête, mes collègues et moi, un moment, et voilà qu’un monsieur sort de la maison et nous fait signe de nous approcher. Il nous invite à l’intérieur et nous explique qu’il est banquier et préfère venir les fins de semaine seul ici pour le calme de l’endroit. Il nous dit que c’est son paradis et nous offre de la bière importée bien fraîche. Nous quittons l’homme à contrecœur et nous reprenons la route pour boucler le tour de l’île.

Sur le chemin vers l’aéroport, le même chauffeur de taxi me raccompagne après m’avoir gentiment tendu le blouson que j’avais oublié dans son taxi à mon arrivée. Lui parlant du temps qu’il fait, et de la chance d’avoir une si belle plage à portée de main, il finit par me confier avec un sourire nostalgique qu’il n’a pas mis les pieds à la plage depuis vingt ans et que son temps est partagé entre le travail et ses enfants. N’ayant pas de compteur, je lui donne la même somme qu’à l’allée, le salue chaleureusement et tourne le dos malgré moi à un pays si captivant.

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