dimanche 19 juin 2011

La sagesse du menuisier

Je le vis de loin, sa mine et sa silhouette ne m’étaient pas inconnues. Nous nous scrutions un moment, et puis, nous nous reconnûmes. C’est un vieux copain du primaire que je n’avais pas vu depuis un siècle. Nous jouions au foot ensemble et après chaque match, on allait à l’épicerie de son père pendant que celui-ci faisait la sieste et on préparait des casse-croûtes à l’harissa et à l’huile d’olive. Il arrêta tôt l’école et travaille désormais comme ouvrier dans un atelier de menuiserie. Comme nous allions dans la même direction, nous prîmes le chemin ensemble. Après quelques mots échangés sur nos situations respectives, nous abordâmes la situation actuelle du pays. Il me dit que le problème en Tunisie est que les gens ne planifient pas grand chose. Ils laissent tout à la volonté de dieu, les enfants, la maison, le travail, les études, et que la volonté de dieu n’est autre que le hasard. On laisse tout au hasard et c’est ce qui explique ce long silence. Au lieu donc de blâmer un ancien dictateur, c’est d’un regard autocritique dont nous avons besoin. Il me montra la bordure de la chaussée marquée par un long sillon et me dit :

« Regarde! C’est à l’image de ce fossé creusé il y a quelques mois pour je ne sais quel projet. Ils sont venus, ont pris des mesures, d’autres sont venus creuser, et depuis, la béance est là. Ils attendent qu’elle se remplisse de déchets et de poussière pour qu’elle se ferme d’elle-même, le projet ayant été abandonné. C’est le manque de planification, c’est justement cette mentalité hasardeuse, fataliste, craintive et passive qu’il faut qu’on change. Hélas, il est trop tard pour les adultes, il faut cibler les nouveaux nés qui seront nés dans un pays libre et à qui on va devoir expliquer ce qu’est la liberté avec ses droits mais surtout ses devoirs. C’est la confiance qu’on accorde au hasard ou à dieu qui nous ronge ».

Il m’invita à boire un café avant de commencer le boulot, mais comme j’étais pressé, je m’excusai et lui promis de le faire une autre fois. Je le quittai en pensant aux diplômés, universitaires ou cadres et qui avant n’avaient jamais osé critiquer même en aparté les affres de la dictature et aujourd’hui sympathisent et flirtent avec un mouvement politico-religieux rétrograde et à la limite du fascisme qui veut gouverner au nom de dieu, c’est-à-dire au nom du hasard. La conscience civique et l’auto-critique ne s’acquièrent pas par les diplômes.

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