lundi 11 août 2008

Ben Laden dans un taxi

Je cours pour prendre le premier taxi. Mon rendez-vous au consulat des Etats-Unis est dans 20 minutes, c’est très juste. Je monte dans le premier, salue le chauffeur sans le regarder et lui dit sur un ton pressé :
- Consulat des Etats-Unis s’il sous plaît.
La voiture démarre et je devine que le monsieur a compris mon empressement. Tant mieux, me dis-je, le message est parvenu. Mais à peine fait-on quelques mètres que celui-ci me demande étonné :
- Hey ! c’est où ço ?
Sa question est tombée comme une pierre dans un lac. Les remous me parviennent et c’est là que je le regarde en préparant ma réponse et en me disant qu’il s’agit certainement d’un nouveau dans le domaine. Le monsieur est gros, dans la cinquantaine. Je parie que c’est un ancien maçon qui s’est blessé au travail et qui, avec l’indemnisation, s’est acheté un permis de taxi et c’est là qu’il a pris tout ce poids.
- C’est à côté du château Frontenac, vous connaissez ? J’ajoute avec ironie.
- Bah, lo, bien sûr, mais t’sais, ça fait 15 ains que je chauffe et je ne sais pas qu’il y a cté affaire lo par icett…
Je me tais tout de suite après afin d’éviter toute conversation, non pas de peur de le ralentir dans sa course, mais parce que je suis convaincu d’avance qu’il va me poser les mêmes questions, à moins que le chauffeur soit Maghrébin, ce qui est très courant ces dernières années : tu viens d’où, pourquoi tu es venu ici, ça te plait ici ? Quand est ce que tu pars chez toi, la semaine dernière j’ai mangé dans un resto arabe, il y avait une danseuse du ventre…. Blablabla.
Après deux feux verts passés et quelques coups d’œil jetés sur ma montre, le monsieur entame la discussion.
- Et quessé que tu vas faire là bo ?
- C’est pour un visa…
- C’est quoi ço ? pourquoi t’as besoin d’ço ?
- Pour aller aux États.
- Hey, on n’a po besoin de ço pour y aller.
- Moi si, puisque je n’ai pas la nationalité canadienne.
Sur ces mots, il me lorgne du coin de l’œil et me pose la question fatidique :
- Tu viens d’où ? parce qu’à l’accain, j’narrive po à vouair.
- Tunisie.
- Aouain ? la Tunisie… hey, c’est bien beau ço…
- Oui.
- Hey, t’sais… (et là, l’obus est lâché)… mouai lo, j’ai rien contre Ben Laden, et j’haïs les Amércains…
- Ok.
- Pis, j’comprends po pourquoi tu veux aller là bo…
- C’est pour un congrès.
- Oguey (Silence. Le monsieur semble ramasser ses mots). Hey… ne le prends pas mal lo, mais tu dois avoir une idée sur sa cachette…
- Cachette… de qui… quoi…
- De Ben Laden…
- Une chose est sûre, il n’est pas dans mon quartier (Les gens ont oublié Ben Laden et ses histoires et le voilà lui qui revient à la charge remuer le couteau dans la plaie).
- T’sais, si ça s’trouve, il est aux Étots.
- Peut-être.
Le silence reprend le dessus. Le chauffeur fait quelques manœuvres de dépassement à droite (comme il est de coutume de le faire ici), je regarde ma montre… 5 minutes passées… je suis nerveux, faut pas rater le rendez-vous, au risque de me voir annuler ma participation au congrès et de perdre le billet…
- T’sais, l’aut’ fois, j’ai embarqué trois Africains avec moi. Y avait des valises tellement lourdes lo… j’ai failli m’déboîter une épaule en voulant les porter. J’me d’mande ben c’qu’il peut y avoir là ddains…
- C’est peut-être des clandestins.
- Hein ? quoi ?
- Oui, il y en a qui mettent les membres de leur famille dans des valises pour les faire voyager clandestinement.
- Hey, ça s’peux-tu lo ? lâche-t-il avec étonnement mais sans trop me contester.
- Oui, tout est possible de nos jours.
- Ouain, parc’que, on dirait des blocs d’acier qu’ils avaient là ddains.
Silence… on arrive à destination. Je regarde le montant, 14$ 80, et lui tends un billet de dix et un de cinq, puis plonge ma main dans ma poche pour lui donner quelques pièces de pourboire, mais le chauffeur marmonne quelques mots :
- Hey, chez vous autres, vous donnez pas de tips ?
Là, j’ai arrêté ma main net dans ma poche, l’ai regardé dans les yeux et lui dis :
Non, t’sais, chez nous, il n’y a pas de taxis, les gens se déplacent à dos de chameaux.
Je claque la porte et presse le pas en direction du bâtiment d'en face.

4 commentaires:

  1. mortel le récit!!!
    les préjugés ont la vie dure malheureusement!!
    c'est comme une fois j'étais à une soirée il y avait un peu de tout. un français vient et me dit ah t tunisienne, y a un resto à coté de chez moi qui fait le couscous, j'adore le couscous!!
    je lui dit et bien moi pas!!! surtout que chez nous au bled, on le mange à la main, on n'a pas de fourchettes!
    il s'est vexé, d'autant plus que tous les tunisiens qui étaient avec moi n'ont pas arrêté de se foutre de sa gueule. il a quand même bien compris je pense que le raccourci arabe=couscous témoignait plus de son étroitesse d'esprit que de sa tolérance exotique

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  2. c'est vraiment marrant:)
    mais j'imagine que sur le coup, c'était trés énervant!
    rabbi m3ak;

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  3. hahaha,
    le3ded 3lik ya si 3ala!
    Tout un récit pour parler d'un cave québecoiai!! lo lo, to torrr!
    Osti, la plus longue distance qu'il l'a faite doit eytt quebec-montreal!

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