mercredi 13 janvier 2010

Périple costaricain (2)



Périple costaricain (2)



Reprendre la route, quitter la pura vida des Caraïbes pour celle du Pacifique en passant par les volcans du centre du pays. Turrialba, Poas, Arenal, etc. Malédiction ou malchance. Il aura fallu qu’on passe par là pour que le volcan se mette en éruption. Il est fermé, les habitants sont evacués. L'autre volcan se cache des vues sous une couronne de nuages. Son cratère est précieux, il ne se montre pas souvent. Mais dès qu’on lui a tourné le dos, un peu déçu, il a grogné. C’est un bruit bizarre. Mélange entre grognement et bruit de roches qu’on touille dans un recipient en acier. Énorme. Il est temps de partir et de quitter le monstre et ses hauteurs, ses nuages qui le préservent du regard curieux, ses orchidées blanches, roses et violettes, ses bambous et arbres géants. Sur la route vers l’Ouest, le climat se fait plus sec et la nature un peu moins présente. Le vert est même teinté de jaune. Mais les montagnes sont aussi imposantes qu’ailleurs. Champs de café, de cacao, d’ananas, moins de cocotiers, on quitte les côtes. Arrêt obligé dans la petite bourgade de Cañas. La ville est barricadée. Maisons sans jardin, façades de magasins, bâtiments, tout est grillagé jusqu’à la toiture en tuile. Les gens se font rares, le regard plus curieux. Point de touristes. Soudain, une vingtaine de motards en cuir passent et perturbent un instant le calme de Cañas. Les gens sont méfiants ici. Apparitions furtives, regards cachés derrière les barricades. On dirait une ville assiégée. Ville de trafics traversée par la route panaméricaine?

Reprendre la route, zigzaguer, freiner, admirer ce paysage qui s’étend tel un Eden généreux. Des pancartes de candidats aux élections présidentielles surplombent la route. Ils sont quatre candidats dans la plus vieille démocratie de l’Amérique latine et la seule qui a osé supprimer l’armée pour investir plus dans l’éducation. Les Ticos ne s’intéressent pas beaucoup à la politique. Pura vida. L’actuel président, Oscar Arias, prix Nobel de la paix, n’a pas l’intention de se représenter. Les autres, faisant toujours partie de la vingtaine de familles les plus riches du Costa Rica proposent des programmes divers. Luis Fishman le populiste table sur la sécurité et joue avec la fibre nationaliste pour pointer du doigt les Nicaraguayens qu’il accuse de délinquance. Ces derniers représentent 10% de la population et selon une étude du PNUD, 90% des infractions ont été commises par des Ticos… Bouc émissaire. Mais c’est Laura Chinchilla qui est favorite. Après le Chili, le Costa Rica? Les femmes ici sont plus actives qu’ailleurs dans le monde, mais dans ce climat de pura vida, tout devient relatif. La plupart de cette gente feminine possède un enfant avant l’âge de vingt ans. Elle l’élève seule, le père doit lui passer un peu d’argent de temps à autre. S’ils sont en famille, ils sont unis et leurs enfants sont leur richesse, leur fierté. J’ai cinq enfants, trois garçons et deux filles, nous lance fièrement un jeune homme dans la fin vingtaine.

On arrive à destination. Samara est une petite ville jetée sur la côte Pacifique. Une ville de surfeurs, calme et touristique. Tout transpire la pura vida mais dans sa version moins agitée que Puerto Viejo et son ambiance rasta jamaïcaine. La nature reprend vite le dessus. Singes hurleurs en grand nombre, papaye juteuse, mangue douce et crémeuse, ananas délicieux, jus de noix de coco frais. Pura vida. Premiers cours de surf. Le moniteur me demande d’où je viens. De Tùnez. J’en ai jamais entendu parler, me lance-t-il avec indifférence. Les filles insistent du regard. La prostitution est légale ici. Des filles mères au corps huilé, sculpté par les vagues du Pacifique et moulé dans un bikini string bronzent tranquillement sur les plages très larges du Pacifique en compagnie de leurs fils de 5, 6, 7, 8 ans. La mer est calme le matin, les vagues se montrent avec la marée haute l’après midi et avec elles la horde de surfeurs. Les débutants se mettent à l’affût de la première vague, les initiés attendent la plus grosse. Pura vida. Deux surfeurs québécois sortent de l’eau: C’est ço la pouro vido man! Dit le premier.

Le soir, une fête foraine, les paysans des quatre coins de la région affluent. Une corrida un peu trash. Ça suinte l’alcool. Ambiance d’émeute, de bagarre générale, de viol collectif sur les jeunes filles en short demi fesses… rien de tout cela. Malgré la foule, l’alcool, l’adrénaline provoquée par les taureaux et canalisée par les rancheros, le sex appeal des filles, rien ne se passe. Décidément, nous ne sommes pas en Égypte. Police présente partout, gilets par balles et mitraillettes. Hola, hola! Tout le monde se salue. Chouros chauds, boisson d’hibiscus, bière locale, grande piste de dance aménagée, etc. Pura vida.

Comme les éternels nomades, nous reprenons la route vers la capitale. Nous enchaînons les kilomètres, munis d’un GPS nord américain non configuré sur les routes costaricaines et dont seul le localisateur nous permet de voir si nous sommes dans la bonne direction et quand est-ce qu’il faut tourner. Arrivés à la banlieue huppée Alajuela. Villas barricadées, grillages hauts couronnés de barbelés. De petites casernes dans ce pays sans armée. On nous conseille de circuler à plus de deux personnes, à cacher tout signe de richesse, à mettre la voiture dans un abri gardé 24/24. Ambiance de guerre. On nous déconseille de traîner après 22h. Le centre ville de San José est très animé. Plusieurs rues piétonnes s’entrecroisent. Des gens travaillent, d’autres se baladent. Très peu de touristes. Ces derniers préfèrent la côte et ne veulent pas s’aventurer dans cette ville à la réputation dangereuse. On se sent bien ici, point d’insécurité. La police est partout. Les gens sont aussi souriants et chaleureux que sur les côtes. Le service est excellent dans les restos populaires du marché central. On fond dans la masse. On passe pour des gens du coin. C’est l’accent qui nous trahit. Musée de l’or et de l’art précolombien. Architecture coloniale. Librairies, enfin, des livres! Figues confites, cacao en poudre, café moka sublime, etc. Je rencontre l’inventeur d’un jeu spécial. Un mélange entre la pétanque et les échecs. Il est content de me montrer son certificat de propriété. Il passe ses journées dans la place publique à expliquer son jeu et laisse les enfants et les passants l’essayer. Barbe blanche jusqu’à la poitrine, peau tannée par le soleil, sourire plein de sagesse. Il me serre la main et me lance la fameuse pura vida. Il est temps de partir à contrecoeur. Nous saluons l’Allemande qui tient un petit hôtel et qui vit ici avec son mari depuis quatorze ans. Elle nous dit: poukha vita! En nous souhaitant beaucoup de chance et en nous prévenant des nouvelles mesures de sécurité dans les aéroports nous disant qu’il faut arriver plus tôt. C’est l’alerte rouge quelques jours après qu’un jeune écervelé a tenté de faire sauter un avion. Pourrie vida…

3 commentaires:

  1. Très beau voyage, je pense sérieusement immigrer au Costa Rica après avoir lu les deux posts, mais juste un détail : la Pura vida n'est pas chiante après un certain temps ? Je ne suis pas contre la paresse, loin de là, au contraire c mon passe temps favori :) mais bon je me posais juste la question. Et puis pour bénéficier de la Pura vida, on a besoin d'être européen ou américain, ex-colon, nouveau colonisateur, est-ce que tu penses que nous, ex-colonisés avec des complexes très profonds, pourrions quand même en profiter ? Ça serait marrant d'observer et de dénigrer "les indigènes", d'autres indigènes !

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  2. Non, au contraire, il est plus facile de fondre dans la société costaricaine pour nous, ex colonisés comme tu dis, étant donné qu'on n'a pas, a priori, de complexe de supériorité. Mais la pura vida touche tous ceux qui foulent cette terre. Le problème des Européens et Américains qui y sont établis, c'est qu'ils veulent allier la pura vida et le confort matériel de leurs pays d'origine. Ils commencent alors à investir et à spéculer et c'est ce qui les diffèrent des Ticos et fait d'eux des éternels étrangers implantés.

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