lundi 11 janvier 2010

Périple costa ricain



Périple costa ricain

Alajuela, San José, direction Limon, Puerto Viejo. Six heures de route pour faire 250 km, pour serpenter entre les montagnes aux sommets nuageux, les volcans aux cratères nerveux. Six heures de route sans indications ou presque. Nature luxuriante, forêts tropicales, paysages qui défilent et défient un oeil trop peu habitué. Des piétons, faute d’espace grignoté par la nature, marchent au bord de la route. Des vélos aux guidons très longs et larges circulent lentement. Une pluie torrentielle s’abat tout d’un coup pour laisser le soleil réapparaître quelques instants après. La nuit tombe vite à mesure que les virages s’accentuent. Des cratères dans la route font bondir la voiture et faillent nous projeter. Seraient-ce les dernières éruptions qui en sont responsables? Mystère. Les kilomètres défilent à un rythme lent. Pura vida! Nous arrivons à destination, exténués. Petit coin de Rasta fari, musique reggae berçante, les gens, nonchalants, se baladent. Les femmes, jeunes, vieilles, belles, moches, grosses, minces, brunes, noires, blondes, arborent fièrement un mini short et une petite camisole au décolleté étourdissant. Odeur de marijuana, de rhum, d’air salé, de nature fraîche et humide. Humer cet air et raviver ses poumons, fermer les yeux et se laisser emporter par cette ambiance zen. Pura vida. Pas facile de se diriger dans les petits sentiers du début de la jungle. Le monsieur qui nous accueille est un Français dans la cinquantaine. Barbe grisonnante, cheveux hirsutes, des touffes de poils blancs lui poussent sur les épaules, comme le lichens et les lianes dans les arbres. Une odeur de sueur bien imprégnée, vieillie par le temps émane en effluves. Cela tient les moustiques éloignés, paraît-il. Ils nous dirige avec une torche. A peine sortis de la voiture, nous nous trouvons vite dans les bras de la nature avec des branchages qui nous lèchent et un bruit faunique mystérieux. Cris de lézards, hurlements de singes, chants de cigales, hululements de chouettes et toutes sortes de grognements, de sifflements, de couinements, de grésillements et de sons bizarres nous préviennent de leur présence. Attention! Vous devez respecter le territoire des autres et fondre dans la nature tel un animal quelconque. Le lendemain matin, réveillé par les impressionnants hurlements de singes qui retentissent dans les quatre coins de la jungle à cinq heures du matin, je commence à lire. Puis je ferme le livre. Non, je ne veux pas faire mon Gide au Congo. René qui se fait appeler Juan, pour se donner une couleur locale alors qu’il baragouine quelques mots en espagnol, me propose de faire un petit tour et de me montrer les bons spots. Je grimpe dans le pick up et la même odeur de sueur imprégnée cette fois-ci dans les sièges de l’auto me coupe le souffle net. On fait deux cents mètres – ici, tout se calcule au mètre près, sinon tu te perds – et on arrête. On descend et René pointe un arbre d’une longueur interminable. Je ne vois rien. Il me précise où regarder. Toujours rien. Je n’ai pas encore l’oeil. Je finis par remarquer un paresseux qui glande sur une branche. Il fait à peine un mouvement par heure. Très curieuse rencontre. On s’enfonce dans la forêt et, après quelques foulées, une magnifique plage bordée de cocotiers s’étend devant mon regard crédule et ébahi. À gauche, quelques vautours semblent attendre.

- Ils attendent qu’on meure. Me lance René avec un sourire cynique.

Il fait quelques pas et ramasse un fruit tombé par terre. Un mélange entre une patate et une figue de barbarie. C’est un nenni, me dit-il. Il le presse pour qu’il s’ouvre et me demande de le humer. Une odeur fétide s’y échappe, mais comme il semble enthousiaste à me faire découvrir un nouveau fruit, je me contente de lui dire que c’est spécial comme odeur.

- C’est spécial! C’est dégueulasse! Ça te donne envie de gerber. On dit que c’est un super medicament, mais il faut être très mal en point pour bouffer cette merde.

Je commence à saisir le personnage. On rebrousse chemin et on reprend la route vers une autre plage. Je remarque à ma gauche une machette calée entre mon siège et la boîte de vitesse.

- C’est utile une machette ici?

- Ah oui. Et je m’en sers souvent. Lance-t-il sur un ton déterminé comme pour laisser planer un mystère.

Je regarde les Ticos, les Costa Ricains, passer sur le bord de la route.

- Et les rapports avec les gens ici se passent bien?

Il ne me répond pas et arrête la voiture net au milieu de la piste. Il me montre un iguane couché sur une branche. Après, il m’indique quelques restaurants et une épicerie tenus tous par des Européens. Des Français, Allemands, Suisses, etc. René, c’est le réseau européen. Je l’ai compris plus tard quand j’ai découvert le réseau américain.

- Mais les Ticos ne possèdent rien chez eux!

- Il fait une moue de dégoût. Non, ils n’aiment pas travailler.

Je regarde les gens marcher, ils nous envoient la main avec un sourire, mais ils sont invisibles pour René.

Il est sept heures du matin et le soleil est bien planté au coeur du ciel. René se penche pour ramasser quelques noix de coco tombées la veille.

- Merde, ils ont tout bouffé, fait chier! On est arrivé un peu tard. Si tu veux avoir la paix, il faut venir tôt à la plage, parce qu’après c’est la cohue. Il suffit de trouver trois ou quatre personnes et tu n’es plus en paix.

René est né au Gabon. Il est fils de colon et aime la nature sauvage. Nous quittons René sans regret et nous reprenons la route, sur un coup de tête, vers le Panama. Nous dévalons les pentes, épousons les courbes, surplombons les nuages, zigzaguons entre les cratères de la route. Des bananeraies, des champs d’ananas, de café et de cacao, bordés de cocotiers et d’arbres divers et inconnus pour moi, sétendent à perte de vue. Des hommes avec des machettes marchent tout le long de la route. Ils coupent l’herbe et la végétation qui veulent empiéter sur la chaussée. La population change de traits. Les gens sont trapus, aux traits typés, à la peau tannée. Ils sont les descendants de ceux qui se sont fait appeler par erreur des Indiens, eux-mêmes descendants de Mongols venus il y a sept mille ans du Pacifique. Des cabanes sur pilotis sont éparpillées à travers champs et plantations. Les maîtres des lieux, les riches propriétaires, préfèrent garder leurs ouvriers sur place. Exploitation permanente d’un peuple que les conquistadors n’ont pas réussi à exterminer. Ce sont les mêmes descendants d’Espagnols qui possèdent les terres. Ils fournissent une bonne partie du marché nord américain et européen en café, cacao, bananes et ananas. Les habitants de la région, eux, se nourrissent de riz et de fèves. Quelques poules courent dans tous les sens. Des chiens traversent nonchalemment la route, obligeant les conducteurs à freiner, à zigzaguer. Le chien est respecté ici. C’est la vache sacrée du Costa Rica. Tout le monde en possède un. Il est ainsi facile de reconnaître les touristes. Ils n’ont pas de chien. La route goudronnée s’interrompt sans préavis pour laisser place à une piste cahoteuse et bordée de ravins. Nous avançons tel un paresseux. Nous arrivons finalement aux frontières. Longue file d’attente. Ni les douaniers ticos ni les panaméens ne parlent anglais. Nous doublons d’effort pour les comprendre et répondre tant bien que mal dans un espagnol approximatif à leurs questions. Après trois heures d’attente au bord d’un pont qui servait jadis de chemin de fer et par où passent désormais tous les camions de marchandises diverses, légumes, fruits, vêtements et probablement cocaïne et marijuana, la douanière ouvre mon passeport, puis le referme et le retourne. Elle ne comprend pas dans quel sens il faut l’ouvrir et finit, après d’âpres tentatives, par saisir le sens des pages. De droite à gauche. Quelle bizarrerie, devait-elle se dire. Elle s’arrête un moment. Pousse un soupir et compose un numéro. Je saisis des parcelles de la conversation. Elle demande si j’ai besoin d’un visa. Je dois être le premier Tunisien qui passe devant elle. Muni de ma carte de resident permanent au Canada, je lui fais comprendre que je n’ai pas besoin de visa. Mais elle ne veut rien savoir. Elle attend les ordres. Une demi-heure d’attente lente et pénible. J’ai eu au moins le privilège d’entrer dans la salle climatisée et de m’asseoir derrière elle pendant que les gens défilent sous la chaleur et le produit toxique dont on asperge les camions pour les désinfecter de je ne sais quoi. La douanière engueule les Américains en espagnol. Elle leur ordonne d’aller vite acheter un visa à côté et de revenir faire la file. Les Américains s’exécutent et répondent en espagnol, tête baissée. La réponse tombe. La femme se tourne vers moi, me tend mes papiers et esquisse un sourire en me souhaitant de passer une bonne journée. J’ai du mal à croire.

La physionomie des Panaméens est différente. Trapus, mâchoires saillantes, habillés comme des gangsters, ils ont le regard dur. Ils sont plus proches des Colombiens que des Ticos. Des images de la prison de la série Prison Break me sautent aux yeux. Le casting est fidèle à la réalité. Le look typique du Panaméen: un tee-shirt ouvert sans manches, des tatouages sur les bras, une grosse chaîne en or, un short long et des baskets. Crâne rasé et démarche de pitbull. Méfiez-vous des apparences.

Après deux jours passés à visiter les différentes îles de Bocas del Toro, toutes aussi belles les unes que les autres et aussi bien conservées et épargnées par le béton, parmi les jeunes Américains venus surfer et plonger, retour au Costa Rica qui nous manque déjà. La pura vida nous rappelle.

Pamela dit qu’elle est née aux États-unis, a grandi au Panama et vit maitenant depuis vingt ans au Costa Rica. Elle tient un bed and breakfast, fait une excellente confiture de carambole, des bananes plantains flambées, déteste la politique américaine qui l’a fait quitter ce pays-là et voue une admiration profonde à son pays d’accueil. Elle a les yeux bleu clair, un sourire qui laisse voir de belles rides et un éclat rayonne son visage de soixante dix ans. Pamela est une belle personne, captivante et elle a un charme de grand-mère.

Expédition seuls dans la jungle où la pluie torrentielle de la veille a laissé ses traces. Fourmis rouges qui piquent, araignées colorées, migales dévoreuses et poilues. Lézards qui se cachent dès que nos pas écrasent les feuilles qui jonchent le petit sentier. Gazouillements d’oiseaux étranges, glatissements d’aigles, coassements de grenouilles, bourdonnements divers, chants de petits perroquets verts en groupe, toucan perché qui nous regarde du haut de son long bec pointu et coloré. Sifflements de serpents, hurlements de singes, mimosa sensitive dont les feuilles se referment au moindre toucher pour se protéger des éventuels dangers. Grenouilles minuscules, fourmis qui portent, en fil indienne, des feuilles trois fois plus grosses qu'elles. Un animal bizarre, mélange de sanglier et de lièvre saute devant nous. Nous sommes perdus. Trois heures d’errance. Nous retrouvons enfin les baies paradisiaques de Manzanillo... (À suivre).

6 commentaires:

  1. Super texte Aloulou, c'est super bien écrit, yartek essaha ;-) On plonge et on y goute comme si on y était ;-)

    Hakim, encore sous le charme de la Pura Vida ;-)

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  2. Merci, je vous enverrai la suite demain.

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  3. Nice trip et surtout un joli billet qui laisse rêveur.

    J'attends la suite

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