samedi 30 avril 2016

Le vélo et la djellaba

D'un coup, comme ça, sans prévenir, nos regards se sont croisés une fraction de seconde avant de se disperser. Il était occupé à suivre ses trois enfants tel un berger les guidant devant et moi agrippé au guidon et me frayant un chemin entre le trottoir et la chaussée. Il portait une djellaba blanche, un bonnet en dentelle et une barbe presque rousse. Sa voix n'a pas changé, aiguë et légèrement enrouée sur les bords. Moi, je portais mon casque et mon accoutrement de cycliste. Je me demande qui de nous deux a le plus changé. 
Il y a une quinzaine d'années, il est venu bosser au restaurant. J'ai tout de suite tenté de le mettre en garde contre lui-même car, avec ses chemises ouvertes et sa chaîne en or, il ne ratait pas une occasion pour draguer lourdement les jeunes serveuses. Je l'ai, plus tard, défendu quand la serveuse en chef est venue nous voir et a lancé : « Je sais maintenant pourquoi on ne vous aime pas vous, les Arabes! Vous ne savez vraiment pas vous comporter avec les femmes. Alé, tu es une exception, tu le sais. » A-t-elle dit en me regardant pour me calmer. Mon sang a bouilli au quart de tour et j'ai commencé à gueuler contre elle et à lui exiger des excuses. J'ai tout arrêté en plein rush. Il a été viré. J'ai su plus tard qu'il s'était marié pour les papiers et que le jour où il a eu sa résidence permanente, il a provoqué son épouse québécoise et a quitté la maison...
J'ai poursuivi mon chemin à vélo et lui le sien en boubou...          

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