dimanche 13 novembre 2011

Ettkarkir et Ellahwa ou la sclérose en plaques d’une société: Le cas de la Tunisie


Armé de mon ultime conviction qu’un libre penseur doit aller à contre-courant de sa société afin de montrer les défauts et les contrevérités du groupe, je me lance là dans l’analyse de deux concepts clés qui mettent à nu le dysfonctionnement des sociétés dites du tiers-monde et particulièrement de la Tunisie, l’exemple que je connais le mieux. Les deux concepts sont à mon avis Ettkarkir et Ellahwa. Ces deux concepts régressifs et intrinsèquement liés me font penser à quelqu’un qui traîne des pieds et qui, pour tuer le temps, regarde à droite et à gauche épiant le moindre mouvement des autres.
Tout d’abord, Ettkarkir ou ce qu’on peut traduire par la fainéantise, la paresse viscérale, l’apathie, entraîne indubitablement, sur le plan professionnel, un manque de productivité et de ce fait, un manque de richesse sur le plan économique.
Cette paresse généralisée engendre également ce qu’on appelle dans les sociétés productives une contre-performance. Voilà les ingrédients types qui instaurent la culture de la médiocrité.
Donc, la pauvreté matérielle, provoquée par le marasme économique, ainsi que la misère intellectuelle, engendrée par une absence d’efforts intellectuels, mènent nécessairement à l’immobilisme, lequel provoque un sentiment d’impuissance et donc de frustration et crée des complexes d’infériorité, voire de la haine et du ressentiment envers les autres, ceux qui ont réussi, ceux qui produisent.
Par ailleurs, au quotidien, la fainéantise mène logiquement à l’oisiveté, ce qui donne lieu à beaucoup de temps libre non investi dans une bonne action, telle que le travail, la réflexion, l’enculturation, etc. Ce temps libre et stérile fait camper la personne dans une situation de passivité extrême et donc dans une position de spectateur. L’image type est celle des hommes qui sont assis une bonne partie de la journée et de la soirée dans les cafés à jouer aux cartes, fumer la chicha, bavarder ou encore à regarder passer les gens. Le spectateur sera ainsi amené à reluquer les autres, les passants, les voisins, les collègues, l’entourage, etc. d’où vient l’ingérence. Et j’aborde par là le deuxième concept régressif, Ellahwa ou quand on se mêle des affaires des autres.
Puisqu’il faut tuer le temps, on préfère le faire sur le dos des autres et c’est une façon de détourner l’attention sur un soi moribond et rempli de son propre échec. Il s’agit d’épier les autres dans leurs moindres gestes, mouvements, leurs façons de s’habiller, dans ce qu’ils font dans leurs vies, ce qu’ils disent et même ce qu’ils pensent de telle ou telle chose. Ce qui donne lieu à une orgie de voyeurisme où tout le monde finit par épier tout le monde et encore plus celui qui n’adhère pas à cette pratique ou celui qui produit quelque chose. Ceci se traduit par des actions passives (l’oxymore n’en est pas un), telles que commenter, placoter, critiquer et détruire toute forme d’initiative ou tout élan individuel.
Ce conformisme collectif et consentant ne peut déboucher que sur une forme de surveillance généralisée, une sorte de police sociale qui exerce une pression accrue sur les membres récalcitrants ou voulant se démarquer du troupeau. La même surveillance donne le droit à la collectivité de juger, voire de sanctionner les actions non conformes aux normes existantes. D’où le fascisme latent qui guette et qui n’attend qu’une forme politique ou juridique pour surgir de ce que j’ose appeler le «sous-moi». 
Le fascisme, c’est-à-dire cette conception doctrinale, homogène et intégriste de la société, explique le regard moralisant que la plupart des gens portent sur les productions culturelles, mais aussi sur les actions politiques. On veut des juges de la morale à la tête des institutions, mais cette morale ne tire pas son essence de la lutte contre la corruption, le mensonge, le vol et la malhonnêteté. Elle se réduit plutôt à une police des mœurs. Du coup, ce qui peut sembler superflu dans une société progressiste, tel que la façon de s’habiller ou encore le comportement individuel qui ne nuit pas à la liberté des autres prend une importance capitale et devient un critère primaire pour juger de la morale de toute une société comme si elle était un seul corps, déniant par là la place de l’individu, ou pire, le rôle de la réflexion individuelle. Toute production culturelle et particulièrement le cinéma (qui agit tel un miroir «inconfortant») est jugé comme une source de débauche à cause de ses scènes de nudité; les politiciens sont discrédités s’ils ne se conforment pas aux rites musulmans; les intellectuels sont mis au ban et bannis s’ils osent critiquer les traditions sociales et encore plus le dogme religieux. Ils sont même traités de collaborateurs avec l’Autre, celui qui a réussi et qui, selon la théorie du complot, veut garder sa suprématie et ses richesses pour lui et saboter tous les efforts des Arabes ou des musulmans d’une manière générale en voulant les amputer de leur Identité «immuable et indivisible».
Ce sont là les deux maux qui empêchent une société donnée de produire, d’évoluer, de s’ouvrir et d’entrer de plein fouet dans la modernité réelle et non celle de façade, c’est-à-dire celle où l’on se contente de consommer des objets modernes, technologiques, pour un usage passéiste et réactionnaire. Vouloir une société résolument moderne nécessite l’abolition pure et simple de ces deux notions sclérosantes.

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