jeudi 19 novembre 2009

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Le Poète et le Tyran


Monsieur le Juge,

le prévenu a-t-il droit à une parole licite?

Comment, alors que vous m'interrompez

exigeant un non ou un oui...

Le droit, je vous le dis, votre Honneur,

Pour nous autres Arabes,

qui sommes Peuple amateur de préliminaires

avant toute réponse!



A présent, vous allez m'écouter...

Le marché, la grand-place, le ventre de la ville

grouillent de cette clameur :

La Justice, en mon pays, est inexistante

La Justice passa et s'en fut

La Justice a rejoint le Sein du Seigneur,

qui fit que nul n'est pérenne

fut-il Magnifique ou Tyran



Ne vous souciez point de ces mots,

Les gens sont saisis de fièvre délirante

et d'hallucinations

J'ai vu, quant à moi, de mes propres pupilles

ce que la cécité des mécréants ne saurait distinguer,

le fin mot de l'histoire :



La justice n'est pas absente,

c'est la cause qui est illusoire,

ou l'accusation, si vous préférez, qui peine à exister

condamnée qu'elle fut à la peine capitale

Nous sommes alors aujourd'hui jugés et condamnés

en manque d'accusation

comme l'Amant est en manque de sa bien-aimée,

Je me consume de désir pour une accusation savoureuse.



Monsieur le juge vénérable

scrutez bien avec moi ces fariboles

exercez votre perçant jugement :

L'on m'accuse d'avoir administré une torgnole

à une dame innocente,

de l'avoir gratifiée d'une ruade,

d'avoir tiré sa chevelure de sirène,

griffé ses joues de pomme rouge,

brisé ses côtes de gazelle...

Comment un poète peut-il commettre autant de fautes de goût?



Notre poète disait

"Nous aimons le pays comme nul ne l'aime"

Je réponds en contrepoint,

"J'aime les femmes comme nul ne les aime"



A toutes les femmes de la terre et des cieux j'ai chanté :

La foudre a tonné sur les contreforts du Kef

Son écho a atteint les confins des terres de Abid

J'ai cru entendre là le tonnerre de Dieu

c'était en fait le rire de ma bien-aimée



A la policière travestie je voudrais dire :

Tu es la bien-aimée, tu es le poème,

mais où se cèle donc la vérité?

Tu fus dure avec moi,

sans répit ni nuance

J'aurais préféré que tu me taxes d'assassin

ou de voleur de tout ce qui fut thésaurisé durant votre règne

Mais rosser une femme? Quel désastre!

Où donc se cèle la vérité?



La vérité est que je me suis aventuré

dans les recoins du palais du dragon

Une promenade devenue cauchemar sans issue

La vérité est que c'est une affaire

entre moi et Zaba le Grand,

souverain du pays

Une affaire qui concerne Hallaj le poète et le Tyran

Charlie Chaplin et le Dictateur

Shéherazade et Shahryar...



Dites à mon geôlier de ne pas se fâcher

Je ne suis, quant à moi, pas en colère

l'esprit en paix

non pas parce qu'innocent,

parce que coupable de l'avoir dépouillé

de ses derniers masques et parures

de l'avoir laissé nu comme un nouveau né

en proie aux moqueurs et aux ricanants



Ceux qui ne sont point familiers du soleil

sont atteint, à la lumière, de glaucome

Le soleil se lève, alors sauve toi, Vampire!

Buveur de sang!

Fuis! Fuis! Et fais ce qu'il te plait

Mes paroles sont libres

comme le souffle de la brise!

Aucune geôle ni aucune cage

ne peut retenir le fugitif qui te parle

de derrière ces barreaux :



Quand la récitation servile

sera étouffée par la Bonne Nouvelle

le Jour venu,

tu seras humble et poli...

Carthage, cette tombe lugubre où manque le cadavre...



L'idiot fléchira pour faire place à l'étendard et à la bataille

Tu lâcheras la bride à la démesure

et n'étouffera point le hennissement de ta monture

Elle porte en sa croupe un combattant...



Plaidoyer du détenu N° 5707

Bloc H, Aile 2, Cellule 2

Prison civile de Mornaguia

Taoufik Ben Brik

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