samedi 30 avril 2016

Le vélo et la djellaba

D'un coup, comme ça, sans prévenir, nos regards se sont croisés une fraction de seconde avant de se disperser. Il était occupé à suivre ses trois enfants tel un berger les guidant devant et moi agrippé au guidon et me frayant un chemin entre le trottoir et la chaussée. Il portait une djellaba blanche, un bonnet en dentelle et une barbe presque rousse. Sa voix n'a pas changé, aiguë et légèrement enrouée sur les bords. Moi, je portais mon casque et mon accoutrement de cycliste. Je me demande qui de nous deux a le plus changé. 
Il y a une quinzaine d'années, il est venu bosser au restaurant. J'ai tout de suite tenté de le mettre en garde contre lui-même car, avec ses chemises ouvertes et sa chaîne en or, il ne ratait pas une occasion pour draguer lourdement les jeunes serveuses. Je l'ai, plus tard, défendu quand la serveuse en chef est venue nous voir et a lancé : « Je sais maintenant pourquoi on ne vous aime pas vous, les Arabes! Vous ne savez vraiment pas vous comporter avec les femmes. Alé, tu es une exception, tu le sais. » A-t-elle dit en me regardant pour me calmer. Mon sang a bouilli au quart de tour et j'ai commencé à gueuler contre elle et à lui exiger des excuses. J'ai tout arrêté en plein rush. Il a été viré. J'ai su plus tard qu'il s'était marié pour les papiers et que le jour où il a eu sa résidence permanente, il a provoqué son épouse québécoise et a quitté la maison...
J'ai poursuivi mon chemin à vélo et lui le sien en boubou...          

lundi 25 avril 2016

Touareg

 
Touareg!
Le mot est lâché
Rien que sa sonorité renvoie à un horizon sans fin
à l'absence de frontières
à une identité qui ne peut être ni fixée 
ni gravée sur une carte nationale
C'est peut-être pour cette raison que le son de la guitare
 le rythme
 le chant qui en découlent font vibrer et remuer quelque chose de profond
 de viscéral
Regarder loin
ne se fixer nulle part
partir
revenir
repartir
ne jamais reculer
foncer
sacrifier
perdre
ne pas ponctuer
se perdre dans cette immensité
Comment peut-on venir de la Mer blanche médiane et se laisser errer
vaguer à ce mot de touareg
Ah 
c'est vrai
Au fond de cette mer
il y a un désert de sable où s'étendent jusqu'à l'infini des dunes minuscules
où l'outrage
l'étrange
l'orage
l'ogre
la rage et l'âge s'estompent
Égal
égare
orge
régal et touareg les détrônent
Il suffit de lire les mots dans un autre ordre et tout l'émerveillement ressurgit des abysses.