mercredi 22 juin 2011

Quel intégriste/libertin se cache en vous

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Quel intégriste/libertin se cache en vous

الخلّاص و العشرة فرنك

ركبت في الكار. جاء سي الخلّاص، قالّي دينار و أربعين، مدّيتلو دينار و ميا. يخّي رجّعلي 50 فرنك و مشى.
ـ سامحني خويا.)طفّاني(، سامحني، يخّي مش قتلي دينار و أربعين؟ مالى ناقص 10 فرنك.
كي سمعني شنّعتها و العباد الكلّ  سمعوني، تلفّتلي و قالّي بكل محقرانيّة و و قاحة:
ـ تي على 10 فرنك قلبت الدنيا؟ هاي 10.
و رمى العشرة في يدّي و تهكّم.
ـ إين نعم، على 10 نقلب الدنيا، ماهمش فلوس؟ و إنت بانى حق تحطّها في جيبك. و تعمل هكّاكه مع 50 واحد في النّهار، قدّاش إطّلّع في اللّخّر؟
الرّاجل بدى يتسومم و قالّي برّى إشكي. إينعم، نشكي بيك على 10 فرنك. غزرلي:
ـ يخّي حاكم إنت؟
ـ علاه، ما فمّا كان الحاكم يشكي؟ آنا مواطن نعرف حقوقي.
كي شافني لساني طويل و جايب ما عندي على 10 فرنك، دوّر وجهو و مشى. تلفّتت للنّاس إلّي بجنبي، و أغلبيّتهم عمّال في المعامل، و حسّيت بنظرة مساندة )ممكن فمّا فيهم إلّي يضحك عليّ، أما حسّيت إلّي فرهدتلهم على قلوبهم(. كي جات المحطّة متاعي و عرفوني مانركبش ديما فالكار، و لّا راني ولّيت مهبول، قالولي هاذية المحطّة متاعك.
نجيوا توّة للتّفسير باش مايفهمني حدّ بالغالط. علاش شدّيت صحيح في 10، إلّي في العادة التاكسيست نخلّيلو 500 بوربوار؟ على خاطر السّيّد حبّ يطفّي الضّوء. و كان قالّي ماعندوش صرف السّماح. و حبّيت عالمبدأ نورّيه إلّي ماينجّمش يقلب النّاس هكّاكه. كلّمتو بكلّ هدوء ماللّول، اما كي رمالي ال10 و يتهكّم، و قتها هبلت عليه. كنت إنّجّم نطفّي الضّوء، يخّي 10 فرنك بش تزيد فيّ حاجة.

mardi 21 juin 2011

القطيع و القطيعة

هل يتذكّر احد منكم خالد الذي صرّح للبي بي سي عن معاناة المواطن السّعودي و الذي إختفى بعدها؟ هل جريمته أنّه حاول الخروج عن القطيع؟ و هل يحسب المواطن الذي كسّر قيود السّلطة الإستبداديّة في تونس و مصر أنّه تحرّر من سلطة و تسلّط القطيع؟ لقد إختفى خالد و إندثرت معه روح الثّورة التي تقطع مع السّائد  بما فيه القطيع. فعوض الإندثار في القطيع، وجب التّشبّث بالقطيعة. شكرا على المحاولة و أرجو كلّ الرّجاء أن تعاد الكرّة بنجاح بعد نصف قرن.

dimanche 19 juin 2011

La sagesse du menuisier

Je le vis de loin, sa mine et sa silhouette ne m’étaient pas inconnues. Nous nous scrutions un moment, et puis, nous nous reconnûmes. C’est un vieux copain du primaire que je n’avais pas vu depuis un siècle. Nous jouions au foot ensemble et après chaque match, on allait à l’épicerie de son père pendant que celui-ci faisait la sieste et on préparait des casse-croûtes à l’harissa et à l’huile d’olive. Il arrêta tôt l’école et travaille désormais comme ouvrier dans un atelier de menuiserie. Comme nous allions dans la même direction, nous prîmes le chemin ensemble. Après quelques mots échangés sur nos situations respectives, nous abordâmes la situation actuelle du pays. Il me dit que le problème en Tunisie est que les gens ne planifient pas grand chose. Ils laissent tout à la volonté de dieu, les enfants, la maison, le travail, les études, et que la volonté de dieu n’est autre que le hasard. On laisse tout au hasard et c’est ce qui explique ce long silence. Au lieu donc de blâmer un ancien dictateur, c’est d’un regard autocritique dont nous avons besoin. Il me montra la bordure de la chaussée marquée par un long sillon et me dit :

« Regarde! C’est à l’image de ce fossé creusé il y a quelques mois pour je ne sais quel projet. Ils sont venus, ont pris des mesures, d’autres sont venus creuser, et depuis, la béance est là. Ils attendent qu’elle se remplisse de déchets et de poussière pour qu’elle se ferme d’elle-même, le projet ayant été abandonné. C’est le manque de planification, c’est justement cette mentalité hasardeuse, fataliste, craintive et passive qu’il faut qu’on change. Hélas, il est trop tard pour les adultes, il faut cibler les nouveaux nés qui seront nés dans un pays libre et à qui on va devoir expliquer ce qu’est la liberté avec ses droits mais surtout ses devoirs. C’est la confiance qu’on accorde au hasard ou à dieu qui nous ronge ».

Il m’invita à boire un café avant de commencer le boulot, mais comme j’étais pressé, je m’excusai et lui promis de le faire une autre fois. Je le quittai en pensant aux diplômés, universitaires ou cadres et qui avant n’avaient jamais osé critiquer même en aparté les affres de la dictature et aujourd’hui sympathisent et flirtent avec un mouvement politico-religieux rétrograde et à la limite du fascisme qui veut gouverner au nom de dieu, c’est-à-dire au nom du hasard. La conscience civique et l’auto-critique ne s’acquièrent pas par les diplômes.

lundi 13 juin 2011

الماكلة بليد ليسار حرام


http://www.point-fort.com

مشيت بش ناكل صحن كفتاجي في البلاد العربي. قعدت في طاولة وحدي و جاء شاب في العشرينات قعد قدّامي. بعد دقائق من الصّمت، غزرلي و قالّي

سامحني خويا، بش نقلّك حاجة، راهي الماكلة بلّيسار حرام.

عندي مدّة ماسمعتش الملاحظة هذي إلّي كانت في العادة تنرفزني. جيت بش نجاوبو، شفتو عامل لحية قصيرة ولابس خاتم السّنّة، قلت بش نقعد نكسّر في راسي. أيّا يخّي سي الشّباب تحسّ كي طفّيتو وقالّي

مش على حاجة راهو، أما آنا هكّا قالولي أهل العلم و العلم للّه. على خاطر اليد إلّي تاكل هذيكه إلّي تستقبل الملايكة و اليسار حاشاك نتوضّاو بها

ربي خلقنا بزوز يدين، و حطّ اليسار مع القلب.

غزرلي بإمتعاض: شنوّه قلب، آنا نقلّك ملايكه و إنت تقلّي قلب؟

لوكان ماجاش القلب إلّي يضخّ الدمّ رانى مانتحركوش. و أهل العلم قالوا إلّي اليساري تركيبة مخّو مختلفة.

فسّرتلو إلّي المخّ مقسوم في زوز، و كلّ قسم عندو خاصّياته و الأدوار تختلف عند اليساريين إلّي ماختاروش بش يكونوا هكّاكا، يعني ربّي خلقهم هكّاكا. و العلماء يقولوا إلّي كي تجبر الصّغير اليساري بش يستعمل يد ّو ليمين، يولّي يوكوك، ينسى فيسع و ينجّم ما ينجحش في قرايتو.

خز رلي و قالّي: انا كنت ناكل بلّيسار و علّموني ناكل بلّمين. عندي التوكويك ساعات، آما هاذيكة سلالة من عند ربّي.

سكت شوية و مبعد قالّي خوذ شويّة حوت. مدّيت ييدي اليسار و نحّيت شويّة حوت من الصّحن إلّي قدّامو.

dimanche 12 juin 2011

Les Hutus et Tutsis de Metlaoui


À peine arrivé en Tunisie, je suis parti à Metlaoui. Je voulais comprendre ce qui s’était passé et éventuellement filmer des témoignages. Nous arrivons à midi dans une ville fantôme. Les magasins, cafés et restaurants sont fermés bien que le couvre feu ne commence qu’en fin d’après-midi. Un tank et deux camions de l’armée sont postés à l’entrée de la ville donnant l’impression de s’engouffrer dans une ville assiégée. Devant le lycée secondaire, encore un autre tank et des camions de l’armée, avec cette fois une fourgonnette de la police, quadrillent l’entrée. Les lycéens sont en train de passer l’épreuve du bac. Nous arrêtons au seul café ouvert et très vite j’engage la discussion avec le serveur qui n’a pas hésité à me relater des faits, mais quand j’ai demandé de le filmer, il a hésité et est allé me chercher quelqu’un qui pourrait accepter de témoigner devant une caméra. Un jeune homme assez costaud mais trapu dans la trentaine sort du fond du café où il discutait avec des amis et vient s’installer à notre table. Il porte le maillot du club africain. Il prend une longue bouffée de cigarette et me dit :
« Regarde, je vais t’expliquer ce qui s’est réellement passé. »
Je l’interromps pour demander de le filmer en lui expliquant que je ne suis ni journaliste ni flic, que je suis un simple blogueur. Il ne comprend pas le mot blog expliqué en arabe et en français, je glisse le mot Facebook et là, il me dit qu’il a demandé un visa allemand et qu’il attend la réponse et ne veut donc pas que son témoignage compromette le processus d’octroi. Je n’insiste pas plus.
Il m’explique que la source du problème, c’est les Jridiya, la minorité qui constitue 10% de la population, qui est originaire de Tozeur et qui détient tous les postes clés dans les mines de phosphate et pour cette raison, ceux-ci préfèrent engager leurs proches. Il m’explique qu’eux, les Ouled Bou Yahia qui sont autour de 45 000, vivaient bien avant l’arrivée des Jridiya, du temps où il y avait des Tunisois, Sfaxiens, Libyens, Algériens et Français. Mais depuis l’arrivée des voisins Jridiya, les choses ont changé. Ces derniers se sont accaparés de tout. Après, il me dit que c’est Tozeur qui a alimenté cette haine et ces affrontements parce que ses habitants, des Jridiya, ne veulent pas que la région de Metlaoui et de tout Gafsa se développe au détriment de la leur, étant donné que le chemin qui mène à Tozeur passe par Metlaoui. Je prends tout ce qu’il me dit avec des pincettes. Il insiste pour me dire que le RCD n’a rien à voir dans cette affaire, que ce sont les Jridiya qui les ont poussés à agir. À ma question sur le nombre de victimes dans chaque partie adverse, il me dit qu’il y a eu plus de morts du côté des Jridiya officiellement, mais qu’il ne faut pas s’arrêter là, qu’il y a eu quelques morts qui ne sont ni Jridiya ni Ouled Bou Yahia et que donc cela ramène le nombre de victimes à égalité dans les deux camps. Je me détache un peu de lui et je me tourne vers le jeune homme de 18 ans qui est assis derrière moi et qui écoutait tout. Le jeune, tout enflammé qu’il est, s’approche de moi et m’avoue à mi-voix que n’eut été la présence des forces de l’ordre, ils auraient massacré les 4000 Jridiya. L’idée semble le réjouir. Il me dit que les Jridiya depuis ont très peur et se terrent chez eux. À ma question si oui il peut reconnaître un Jridi physiquement, il me répond spontanément :
« Oui bien sûr, regarde, les Jridiya sont faciles à détecter. Ils ont les cheveux crépus, le teint foncé et les yeux marrons, alors que nous, nous sommes propres, nous avons la peau blanche, les yeux clairs et les cheveux lisses. »
Les autres jeunes sont venus exhibés fièrement leurs trophées sur leurs portables où ils ont filmé des scènes de lynchage. Ils m’ont dit qu’ils ne veulent pas les mettre sur Facebook pour ne pas se faire repérer.
N’ayant pas pu interroger des Jridiya de Metlaoui, nous sommes allés à Tozeur et là la version change. Tout d’abord, des affiches avec une date passée sont postées à l'entrée d'un grand magasin pour organiser un bus de nourriture destiné aux Jridiya de Metlaoui qui ne peuvent pas sortir. On me dit que sur Facebook circule une vidéo qui montre le bus et dont le commentaire laisse croire que les gens de Tozeur se mobilisent pour aller faire la guerre aux Ouled Bou Yahia. Selon les quelques Jridiya que j’ai pu interroger, le problème n’est pas du tout ethnique. Après tout, me dit un employé d’hôtel de 45 ans, les familles sont mélangées et il n’y a jamais eu de rivalité. Il confirme que quelques directeurs de mines sont des Jridiya mais pas exclusivement et nie toute préférence à l’emploi en faveur des Jridiya. Selon lui, le problème a été alimenté par les anciens du régime qui veulent garder leurs richesses et la mainmise sur tous les secteurs. Il me dit que les Jridiya à Metlaoui n’ont pas peur et que les tueurs sont allés se réfugier dans les montagnes.
Décidément, pour bien comprendre ce qui s’est passé, et ce qui se passe encore, il faudrait mener une large enquête, ou un reportage d’investigation, aller dans les mines, voir les fiches des travailleurs, comparer, parler avec eux, interroger les directeurs, aller dans les quartiers brûlés des Jridiya de Metlaoui, etc. ou alors créer un camp militaire comme me l'a suggéré une amie et y mettre des Jridiya et des Ouled Bou Yahia pendant 6 mois pour qu'ils apprennent à vivre ensemble.
Malheureusement, je n’avais ni le temps ni la préparation pour effectuer ce genre d’investigation. J’ignore si des journalistes ont déjà mené ce genre d’enquête, mais une chose est certaine : la haine est toujours là et le sentiment de vengeance est à son comble. Si une action politico-sociale n’est pas prise sur le champ, les affrontements reprendront de plus belle.

lundi 6 juin 2011

La Barbade ou le pays bajan

©3loullou



Les îles des caraïbes défilent sous le tube en métal à l’intérieur duquel on est agglutiné, petites, grandes, longues, montagneuses, escarpées, vertes, auréolées de bandes blanches, volcans qui fument, nuages qui se bousculent.

La dernière île à l’est de la mer caraïbe est singulièrement plate. Aucun volcan ne la soutient et les nuages ne font que passer. La verdure est moins présente et laisse place à des tâches jaunes. Point de forêt dense, point de dédales floraux et une faune discrète.

Accueil assez original. Que des douanières en uniforme bleu vif et au sourire mesuré. La politesse est de mise et l’accent est quelque peu british lequel s’estompe à mesure qu’on s’enfonce dans le pays pour se faire doubler par le bajan, dialecte où les mots sont hachurés et les phrases saccadés et scandées. Le dialecte bajan est agréable à écouter même si l’on ne comprend pas tout. Le hall d’entrée de l’aéroport de Bridgetown est semblable à un gigantesque paravent tant la façade ne possède pas de mur. La chaleur humide est écrasante, mais cela ne fait que titiller l’être sudiste qui tapit en moi.

Franchir l’aéroport d’un pays qui m’est encore inconnu est un des moments les plus intenses de ma vie. Je me sens sitôt submergé dans une autre dimension. Tous mes sens prospectent. Le large trottoir grouille de monde et surtout de chauffeurs de taxi en chemise et pantalon. Bizarrement, je ne suis point assailli par eux. Attiré par une chemise bleue et un badge, je me dirige alors vers un monsieur assis. Je comprends qu’il est chargé d’affecter les arrivants dans les taxis, voilà pourquoi les chauffeurs ne se battent pas pour nous avoir, contrairement à ce qui se passe dans les villes arabes. Il me tend un papier sur lequel il a marqué le montant de la course. Ce genre de détails me plait et me laisse moins sur mes gardes. Je prends place dans un grand taxi tout neuf et climatisé. Sur la route, je fais remarquer bêtement au chauffeur ma surprise de voir autant de femmes conduire alors que leurs hommes sont à côté. Le chauffeur éclate de rire et relève mon inhabitude de voir conduire à droite. Nous rions un bon coup. Les routes exiguës contrastent avec les grosses voitures aux vitres teintées et desquelles sort systématiquement du dancehall.

L’air salé finit par réveiller complètement l’être sudiste et marin en moi et j’emplis mes poumons de cet élément. Plages longues et étroites, un peu vides vu la saison, mais le beau temps est là en tout temps et même la pluie quotidienne qui ne dure que quelques minutes ne réussit guère à perturber une mer majestueuse.

Couleurs criardes de robes caribéennes accrochées dans des stands pour touristes à la sortie de la plage. Jeunes femmes caribéennes en mini-shorts moulants et quelques dames fonctionnaires en robes jaunes ou bleu vif attendent le bus.

À mesure que le soleil se couche, le rhum fait sa sortie sur les murets des plages, entouré de grosses bouteilles de soda et de musique dancehall des voitures garées autour.

Les mini-shorts cèdent le pas aux robes très courtes épousant des silhouettes ondulées.

Un rasta fari se lave les cheveux éternellement longs dans la mer sous le regard pieux des enfants qui jouent dans l’eau à côté. Mancenillier, arbre venimeux, étend ses tentacules sur la plage et exhorte les passants de ne pas s’y installer en cas de pluie.

Sur les étales du marché central quelques bananes plantains, avocats et goyaves importés des îles voisines attendent preneur. On me dit que les légumes et fruits sont un luxe ici que ne peut se payer que les riches propriétaires américains, canadiens et anglais des villas front de mer.

Le reste, c’est-à-dire 95% de la population, mange du poulet frit et ils sont bien servis par les grandes chaines de fastfood américain. Les enseignes des banques canadiennes, britanniques et américaines, elles, sont prêtes à service monsieur 5%.

Un crane rasé, grosse boucle d’oreille de pirate, marcel blanc et tatouages saute de la basse clôture d’une maison et court vers moi :

Hey! Yeh mon! How u doin’

Fine thanks and you?

You need somethin’ Weed, crack, coke, whot eva?

Oh! No thank you, I don’t smoke and I dont take drugs.

Oh! Rilly? Okey! You’re lookin’ fo’ geul’s? Tell me, an’ I bring you o’ you need. Two, three geu’ls?

Oh! No, no, I’m ok.

Rilly? So, wha’a you doin’ de’?

I’m just walking around, and discover the place by night.

Le marcel me fixe en fronçant les sourcils. Visiblement, il ne peut pas concevoir qu’un étranger puisse se balader seul le soir sans but précis. Il insiste encore, mais devant mon refus poli, il me tourne le dos exaspéré.

Après quelques jours de travail à l’université West Indies, je glisse dans la peau d’un touriste discret. La vie des étudiants sur le campus de Cave Hill se passe en plein air. Les salles de révision ne sont que des bancs entourés de gazon et le cours le plus suivi est celui d’athlétisme. Des sprinters courent accrochés à des mini-parachutes qui les ralentissent et rendent leur effort plus intense. Les étudiants les plus studieux s’entassent dans la bibliothèque et s’affairent à assimiler les gros livres de médecine. Les autres ricanent, mangent, jouent, se draguent et révisent un peu de temps à autre. Je ne peux pas les blâmer, étudiant, je faisais comme eux.

Je m’aventure seul au centre-ville malgré les avertissements des collègues qui habitent l’île depuis des années. Ils m’ont enjoint de prendre le taxi pour l’hôtel et quand je leur ai dit que j’allais prendre le bus, ils ont écarquillé les yeux. Je fais signe au premier bus de s’arrêter, ne sachant pas dans quelle direction il va. Je monte et demande au chauffeur s’il va au centre-ville. Il acquiesce de la tête. Je prends place et très vite les yeux se détournent de moi sauf ceux d’une vieille dame au visage de bronze parfaitement ridé et au regard perçant. Elle me dit de prendre une autre connexion pour pouvoir me rendre dans la zone des hôtels sans passer par le centre-ville, puis s’adresse au chauffeur en bajan. Après quelques minutes, elle se lève et me demande de la suivre. Nous descendons du bus et elle se penche sur moi pour me dire de faire attention et de ne pas m’aventurer seul à la nuit tombée. Je ris un peu en lui disant de ne pas s’inquiéter pour moi, mais comme une mère veilleuse, elle me dit que le centre-ville est sécuritaire seulement le jour et qu’elle sait de quoi elle parle. Elle salue quelques personnes au passage et reprend le fil de la discussion avec moi jusqu’à ce qu’un bus apparaisse. Elle s’adresse au chauffeur et me fait signe de monter. Je la remercie à la fois contrarié de passer pour un touriste fragile à qui on dicte l’itinéraire à suivre et touché par cette sympathique rencontre. Le minibus est bondé, on me fait une demi-place et je dois m’appuyer sur la portière pour bien tenir. La musique dancehall est à fond et le chauffeur aux dreadlocks bien alignés intercale plusieurs billets dans ses phalanges. Ainsi, des billets de 1, 5, 10 et 20$ sont répartis sur les quatre phalanges. Je quitte à contrecœur le centre-ville, décidé à y retourner le jour.

Les rares mets bajan que l’on trouve se font désirer. Poisson volant frit, marlin grillé, bananes plantains caramélisées et fondantes, gros riz américain, légumes servant de décor, bière locale légère, etc.

Grande distillerie de rhum qui a pignon sur mer. C’est probablement l’usine qui a la meilleure vue du monde. L’odeur de rhum est persistante, envahissante, étourdissante. Presser le pas est la seule issue pour éviter un coma éthylique. Quelques accoutumés, à moitié pompettes rien que par l’odeur gratuite que diffusent les cheminées, se prélassent entre la clôture de l’usine et la plage. Le chauffeur de taxi m’avait déjà expliqué que la canne à sucre est tout ce qui pousse sur l’île et comme industrie, c’est sa transformation en rhum qui prévaut. J’appris plus tard que c’était là, la plus vieille distillerie de rhum au monde.

Une pluie torrentielle s’abat et dure cette fois plus d’une demi-heure. Et bien que le ciel se soit ouvert comme une mer qui se déverse d’en haut, je continue ma marche trempé jusqu’aux os. À peine cette manne diluvienne terminée, le beau temps reprend le dessus et les plages se repeuplent. Un chant de gospel me parvient de loin. Je suis la source et je vois une église en plein air où des gens chantent et appalaudissent avec ferveur sous un chapiteau peint en vert. Les hommes portent des chemises en satin aux couleurs vives et les femmes de grandes robes colorées.

Le chant a vite disparu dès que j’ai immergé la tête dans l’eau. Une grosse tortue de mer grignote sagement tout ce qui colle aux coraux. Ma présence ne semble pas la déranger. Je m’approche encore plus sans trop faire de remous. Elle s’arrête un instant, tourne la tête pour me voir, me fixe un moment, puis replonge la tête dans les coraux. Je lui ai alors touché doucement la carapace sans qu’elle ne s’effarouche. Après quelques minutes passées à la dévisager, la tortue finit par me lancer un regard de lassitude. Je comprends le message et je m’éloigne de sitôt.

L’après midi, des coureurs, vieux, jeunes, femmes, hommes, sveltes, obèses, sillonnent la plage. Aux côtés du criquet et de la course de chevaux, la course est un sport national dans ce pays où il est interdit de fumer dans tous les lieux publics et même sur les terrasses.

Autant la côte Ouest est peuplée et sa mer caribéenne calme, autant la côte Est est déserte et son océan atlantique agité. Une seule grande maison en bois se tient sous la seule montagne d’à peine quelques dizaines de mètres de haut. La maison est tournée vers l’océan où les vagues successives s’échouent violemment sur la côte rocheuse. Le pays change de visage. On s’arrête, mes collègues et moi, un moment, et voilà qu’un monsieur sort de la maison et nous fait signe de nous approcher. Il nous invite à l’intérieur et nous explique qu’il est banquier et préfère venir les fins de semaine seul ici pour le calme de l’endroit. Il nous dit que c’est son paradis et nous offre de la bière importée bien fraîche. Nous quittons l’homme à contrecœur et nous reprenons la route pour boucler le tour de l’île.

Sur le chemin vers l’aéroport, le même chauffeur de taxi me raccompagne après m’avoir gentiment tendu le blouson que j’avais oublié dans son taxi à mon arrivée. Lui parlant du temps qu’il fait, et de la chance d’avoir une si belle plage à portée de main, il finit par me confier avec un sourire nostalgique qu’il n’a pas mis les pieds à la plage depuis vingt ans et que son temps est partagé entre le travail et ses enfants. N’ayant pas de compteur, je lui donne la même somme qu’à l’allée, le salue chaleureusement et tourne le dos malgré moi à un pays si captivant.